4• Le combat singulier

 

Maintenant les deux armées s’approchaient l’une de l’autre, les Troyens criant comme un grand vol de grues, les Grecs en profond silence. Sous leurs pas s’élevait un tourbillon de poussière, pareil au brouillard qui, sur la montagne, ne permet pas de voir plus loin que le jet d’une pierre.

Quand les deux armées se trouvèrent en présence, Pâris s’avança pour combattre en avant des Troyens. Il provoquait tous les Grecs à venir l’affronter en combat singulier. Avec sur ses épaules une peau de panthère, un arc recourbé et une épée, et à la main deux lances à pointe de bronze, il était beau comme un dieu.

Quand Ménélas vit que c’était Pâris, il fut rempli de joie, comme un lion affamé qui découvre sa proie. Il se dit qu’il allait se venger de l’homme qui lui avait fait du tort. Aussitôt, de son char, il sauta à terre, en armes.

Pâris vit Ménélas s’avancer, et il fut épouvanté. Il recula comme un homme qui aperçoit un serpent dans les bois.

Alors Hector se tourna vers son frère avec mépris.

« Ah! Pâris de malheur, pourquoi donc es-tu né? Pourquoi n’es-tu pas mort avant d’avoir pris femme? Ils vont rire, les Grecs qui t’ont cru un héros sur la foi de ta belle prestance. C’est toi qui as navigué sur la mer pour ramener avec toi la reine charmante d’un peuple vaillant? Et maintenant tu es trop lâche pour affronter l’homme que tu as offensé? Nous, les Troyens, devrions t’avoir lapidé depuis longtemps, pour tous les maux que tu nous as causés. »

« Tout ce que tu dis est vrai, Hector, répondit Pâris. Si tu veux que je combatte, fais asseoir toutes les troupes, et je l’affronterai entre les deux armées. Hélène et tous ses trésors seront l’enjeu du combat. Celui qui vaincra recevra l’épouse et tous les biens, et les autres pourront enfin avoir la paix. »

Ces paroles plurent à Hector. Il s’avança entre les lignes et redit à tous la proposition de Pâris. « L’un de nous doit mourir, c’est certain, dit Ménélas, et il est juste que les autres aient la paix. Que Priam vienne donc pour faire à la Terre et au Soleil des sacrifices solennels et jurer de donner Hélène au vainqueur, afin qu’ensuite nous ayons la paix. »

Grecs et Troyens se réjouirent à la pensée de voir cesser la guerre. Ils arrêtèrent leurs chars et en descendirent. Puis ils déposèrent leurs armes, assez près les uns des autres, car peu d’espace se trouvait entre les deux armées.

Hector envoya deux hérauts vers la ville pour convoquer Priam.

(…)

Priam frissonna quand il entendit la nouvelle. Il craignait pour la vie de son fils. Cependant il partit sur son char, accomplit les sacrifices et prêta de solennels serments. Puis il rentra dans la ville, car il n’avait pas le courage de voir le combat singulier.

Hector et Ulysse mesurèrent le terrain. Puis, choisissant des sorts, ils les jetèrent dans un casque pour savoir qui des deux lancerait le premier sa pique de bronze. Les troupes se mirent à prier, en levant les mains. La même prière servit à tous, Grecs et Troyens, car c’était une prière de paix.

Alors Hector secoua le casque, en détournant les yeux, et ce fut le sort de Pâris qui sauta au dehors.

Les hommes s’assirent en rangs, et Pâris passa son armure : de splendides jambières avec des couvre-chevilles d’argent, et une cuirasse sur sa poitrine. Autour de ses épaules, il jeta une épée à clous d’argent et un bouclier grand et dur. Sur sa tête, il mit un casque bien ouvré, à panache oscillant. Enfin il saisit sa pique, bien adaptée à sa main. Pendant ce temps, Ménélas s’armait lui aussi de la même façon.

Agitant leurs armes, et se lançant des regards terribles, ils s’avancèrent tous deux entre les lignes. Ce fut Pâris qui lança le premier sa pique : il atteignit en plein le bouclier de Ménélas, mais sans le percer ; la pointe se tordit.

Ménélas brandit sa pique, en adressant une prière à Zeus. L’arme traversa le bouclier, la cuirasse et la tunique. Mais Pâris se pencha et échappa ainsi à la mort. Ménélas tira alors son épée à clous d’argent, la leva et frappa Pâris sur son casque. Mais l’épée se brisa en morceaux et tomba de sa main. « O Zeus! Que tu es cruel ! » s’écria Ménélas. Et il saisit Pâris par son casque à l’épaisse crinière, se retourna et le tira vers les lignes grecques.

C’eût été la fin de Pâris, mais Aphrodite veillait sur son protégé. Elle rompit la jugulaire, et Ménélas ne retint plus qu’un casque vide. Il le jeta vers ses amis, et s’élança contre Pâris avec sa pique. Mais Aphrodite enleva Pâris et le déposa dans sa chambre à coucher de Troie. Et tandis que Ménélas furieux le cherchait dans la foule, Pâris reposait là, en sûreté. Enfin Agamemnon dit aux Troyens : « Il est clair que Ménélas est le vainqueur. A vous donc de nous rendre Hélène et ses trésors! » Ainsi parla-t-il et les Grecs l’approuvèrent. Et si Zeus l’eût permis, la guerre de Troie pouvait se terminer alors.

Suite

 

Adapté d’Homère par Jane Werner Watson
Illustrations d’Alice et Martin Provensen
Conception et réalisation de Jean-Philippe Marin
Basé sur le livre L’Iliade et l’Odyssée 1956 Éditions des Deux Coqs d’Or, Paris .
www.iliadeodyssee.com